L'arrêt du 25 mars 2020 de la Cour de cassation consécutif à l'arrêt de juillet 2018 par la Cour d'appel de Besançon, a définitivement enterré le concept d'intérêt négatif pour les emprunts des particuliers. Pourtant, la notion "d'intérêt négatif" avait été envisagée précédemment par plusieurs Cours d'appel en ce qui concerne des prêts immobiliers à taux indexé accordés à des particuliers. Reprenons en détail le contexte de cette question.

 

Les taux négatifs : définition et pourquoi ? 

Les taux négatifs sont un des instruments de la  politique monétaire utilisé par les banques centrales en agissant sur les taux directeurs (taux d’intérêt des emprunts des banques commerciales à la banque centrale). Depuis juin 2014 dans la zone euro, les banques commerciales qui déposent des liquidités à la banque centrale sont rémunérées à des taux négatifs, c’est-à-dire qu’elles payent pour placer leurs excédents de trésorerie.

Cette stratégie est destinée à inciter les banques commerciales à prêter à l’économie. Le but est de relancer l’activité en limitant l’épargne improductive, en encourageant l’investissement et la consommation. Cette stratégie se trouve encore renforcée pour aider les pays à relancer leur économie après la pandémie de la Covid-19.

Les taux négatifs sont donc favorables aux emprunteurs : les États en premier lieu car cela soulage les finances publiques, les entreprises et les particuliers qui empruntent à moindre coût. 

Mais ce n'est pas pour autant que les prêts immobiliers aux particuliers seront accordés à des taux négatifs.

L'argumentaire de la Cour de cassation (Cass. civ. 25/03/2020 n°18-23803) 

"Dans un contrat de prêt immobilier, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n'ont pas entendu déroger aux règles du Code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d'une quelconque rémunération à l'emprunteur."

Les principes rappelés par cet arrêt :

  • L'article 313-1 du Code monétaire et financier :

"Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne". L'opération de crédit est donc un acte à titre onéreux par lequel le prêteur perçoit une rémunération.

  • Les articles du Code civil qui précisent les obligations de l'emprunteur dans un prêt à intérêt, sont : 
    • L'article 1902 : "L'emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu". Par conséquent, il y a une obligation de remboursement de l'intégralité du capital et donc impossibilité de l'amputer par un intérêt négatif.
    • L'article 1343-1 : "Lorsque l'obligation de somme d'argent porte intérêt (art. 1905), le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts". Les intérêts doivent alors être payés.

En conclusion, dans un contrat de prêt immobilier, l'emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération dès lors que les parties n'ont pas entendu déroger au Code civil. Le prêteur ne peut alors être tenu, même temporaiement, au paiement d'une quelconque rémunération à l'emprunteur. 

 

Dans la pratique, les taux négatifs seraient-ils possibles ? 

C'est peu probable, pour les raisons suivantes :

  • ceci ne pourrait être envisageable que pour des prêts à taux variable, indexés sur les taux du marché interbancaire, or aujourd'hui, près de 100 % des prêts immobiliers sont réalisés à taux fixe et, de fait, ne sont pas concernés par les évolutions de taux,
  • si, par exception, il s'agissait d'un prêt à taux variable, encore faudrait-il que celui-ci ne soit pas "capé" c'est-à-dire associé à une clause, définie dans le contrat, limitant à la fois, la prise en compte des variations à la hausse et à la baisse de l'indice de référence,
  • enfin, la fixation des taux par les banques est certes basée en premier sur leur coût de refinancement mais à cela s'ajoute une marge représentative notamment du coût du risque. Sans cette marge, les banques seraient dans l'impossibilité de maîtriser leurs risques.

 Qu'en conclure ?

En droit, la liberté contractuelle permettrait de prévoir que la variabilité du taux de l'intérêt d'un prêt conduise le prêteur à devoir rémunérer l'emprunteur, si et seulement si, une stipulation expresse le précise dans le contrat de prêt. Cependant, au-delà du strict cadre juridique, le bon sens doit prévaloir, car il est évident que les banques pas plus que leurs emprunteurs n'ont a aucun moment envisagé que par le jeu de la variabilité à la baisse d'un indice, le prêteur soit privé de rémunération.

Seul un prêt à taux indexé non capé, sans dérogation aux dispositions du Code civil mentionnée au contrat de prêt, en situation de baisse significative du taux de référence, pourrait être le cas d'application de l'arrêt de la Cour de cassation.